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Les landes aux trolls

 

 

C’était un territoire de terres noircies et de marécages perdus dans la brume, où la pourriture et une sensation de péril imminent pesaient en permanence sur le moral, même sous le ciel le plus lumineux qui soit. Le terrain montait et descendait constamment si bien que le voyageur gravissait chaque crête avec l’espoir de sortir enfin de cette région maudite. Mais chaque fois le découragement s’emparait de lui, car il rencontrait toujours les mêmes paysages immuables.

Les courageux cavaliers de Nesme s’aventuraient chaque printemps dans les landes afin d’y allumer de longues barrières de feux et chasser ainsi les monstres qui peuplaient la contrée hostile loin des frontières de leur ville. Il était tard dans la saison et plusieurs dizaines s’étaient écoulées depuis le dernier embrasement. Mais les vallons encaissés étaient encore emplis de fumée et les vagues de chaleur émises par les grands incendies continuaient à onduler dans l’air autour des piles les plus hautes de bois carbonisé.

Bruenor avait conduit ses amis dans les landes aux Trolls animé par sa volonté de défier les cavaliers et il était bien résolu à parvenir à Lunargent en les traversant coûte que coûte. Mais après un jour seulement de voyage, il se mit à douter lui-même du bien-fondé de sa décision. Le lieu exigeait que l’on soit constamment sur ses gardes. Et il devait s’arrêter devant chaque bosquet carbonisé, car les souches noires dénudées et les branches tombées ressemblaient étrangement à des créatures des marais. Plus d’une fois, le terrain spongieux sous leurs pieds avait soudain fait place à des trous profonds remplis de boue. Et seuls les réflexes d’un compagnon qui se trouvait à côté leur avaient évité de découvrir quelle était leur profondeur réelle.

Une bise soufflait sans répit sur les landes, alimentée par les écarts de température entre les terrains secs et les marécages. Elle charriait une odeur plus détestable que celle de la fumée et de la suie venue des feux ; une écœurante odeur douceâtre qui troublait Drizzt Do’Urden car il ne la connaissait que trop bien : la puanteur des trolls.

Ce territoire était leur domaine et toutes les rumeurs courant sur les landes Éternelles que les compagnons avaient entendues et dont ils avaient ri bien à l’abri de La Baguette Pompette n’auraient pas pu les préparer à ce qui leur tomba soudain dessus lorsqu’ils y pénétrèrent.

Bruenor avait estimé que leur groupe pourrait traverser les landes en cinq jours s’ils maintenaient un rythme soutenu. Le premier jour, ils couvrirent en fait la distance nécessaire, mais le nain n’avait pas prévu qu’ils devraient sans arrêt revenir sur leurs pas afin d’éviter les marécages. S’ils avaient parcouru plus de trente kilomètres ce jour-là, ils étaient toutefois à moins de quinze kilomètres de leur point de départ.

Mais ils n’avaient pas vu de trolls, ni aucune autre sorte de monstre, et ce soir-là ils installèrent leur camp avec un optimisme feutré.

— Tu montes la garde ? demanda Bruenor à Drizzt.

Il savait que sans le drow le groupe ne survivrait pas à cette nuit, car Drizzt était le seul dont les sens étaient suffisamment aiguisés.

Drizzt hocha la tête pour signifier son accord.

— Toute la nuit, répliqua-t-il.

Et Bruenor ne discuta pas. Le nain savait qu’aucun d’eux n’arriverait à dormir, qu’il soit de garde ou non.

L’obscurité tomba brusquement. Bruenor, Régis, et Wulfgar ne pouvaient pas voir leurs propres mains s’ils les tenaient à quelques centimètres de leur visage. Et des sons évoquant une créature de cauchemar s’élevèrent dans les ténèbres : des bruits de succion, de pas dans la boue… De la fumée se mêla au brouillard nocturne et s’enroula en volutes autour des troncs des arbres dénudés. Le vent ne se fit pas plus fort, mais la puanteur qu’il charriait, si. Et à son sifflement vinrent s’ajouter les grognements des esprits tourmentés des ignobles habitants des landes.

— Rassemblez votre équipement, murmura Drizzt à ses amis.

— Qu’est-ce que tu vois donc ? demanda Bruenor à voix basse.

— Rien directement, répondit-il. Mais je les sens autour de nous, comme vous tous. Nous ne pouvons pas rester assis et les laisser nous trouver. Il faut que nous nous déplacions parmi eux pour les empêcher de nous encercler.

— J’ai mal aux jambes, se plaignit Régis. Et mes pieds sont gonflés. Je ne suis même pas sûr de pouvoir remettre mes bottes !

— Aide-le, garçon, demanda Bruenor à Wulfgar. L’elfe a raison. On te portera, s’il le faut, Ventre-à-Pattes, mais on peut pas rester immobiles.

Drizzt prit la tête du cortège ; par moments il devait tenir la main de Bruenor qui marchait derrière lui, et ainsi de suite jusqu’à Wulfgar qui fermait la marche, pour empêcher que ses compagnons trébuchent sur le chemin qu’il avait choisi.

Ils pouvaient tous sentir les ombres qui se déplaçaient autour d’eux, sentir la puanteur des ignobles trolls. Drizzt avait conscience de la précarité de leur situation et il tirait ses amis aussi vite qu’il pouvait, car lui seul voyait clairement le nombre de trolls qui se rassemblaient autour d’eux.

La chance était avec eux car la lune se leva alors, transformant le brouillard en une fantomatique couverture d’argent et révélant à tous les amis l’imminence du danger. Les mouvements étaient désormais visibles de tous les côtés et les compagnons se mirent à courir.

De grandes et maigres silhouettes, titubantes, surgissaient dans la brume tout près d’eux. Elles tendaient des doigts griffus en essayant de les saisir au passage. Wulfgar vint à la hauteur de Drizzt et écarta les trolls en leur donnant de grands coups de Crocs de l’égide, afin de permettre au drow de se concentrer sur son rôle de guide.

Ils coururent pendant des heures. Les trolls continuèrent pourtant à affluer. Au-delà de toute sensation d’épuisement, transcendant les douleurs, puis l’engourdissement de leurs membres, les amis coururent, conscients de l’inéluctable et horrible mort qui les attendait s’ils faiblissaient, ne serait-ce qu’une seconde. Leur peur l’emportait sur les appels au secours de leur corps. Même Régis, trop gros et trop mou, dont les jambes étaient trop courtes pour la route, garda le rythme. Et il poussa même ceux qui se trouvaient devant lui pour qu’ils courent encore plus vite.

Drizzt comprenait l’absurdité de leur course. Le marteau de Wulfgar se faisait moins rapide. Ils trébuchaient de plus en plus souvent. La nuit était encore jeune et l’aube ne garantissait même pas la fin de la poursuite. Sur quelle distance encore pourraient-ils courir ? Quand viendrait le moment où ils emprunteraient un chemin qui finirait dans un marécage sans fond, alors qu’une centaine de trolls les poursuivaient ?

Drizzt changea de stratégie. Ne cherchant plus à fuir – et simplement fuir, il se mit à la recherche d’un carré de terrain où ils pourraient se défendre. Il avisa un tertre, relativement peu élevé, de trois mètres de haut peut-être, caractérisé par une pente escarpée ; presque à pic sur les trois côtés qu’il pouvait voir depuis l’angle où il se trouvait. Un jeune arbre solitaire poussait sur l’un des versants. Il indiqua l’endroit à Wulfgar. Celui-ci comprit immédiatement ce que son compagnon avait en tête et il changea de cap. Deux trolls surgirent, tentant de lui bloquer la voie, mais Wulfgar, fou de rage, les chargea. Crocs de l’égide frappa brutalement. Les coups du marteau s’abattaient en rafale, et les trois autres compagnons purent se glisser derrière le barbare et rejoindre le tertre.

Wulfgar fit volte-face et se hâta de les rejoindre. Les trolls s’acharnèrent à le poursuivre, désormais accompagnés d’une horde de leurs ignobles congénères.

Faisant preuve d’une souplesse étonnante, en dépit de son embonpoint, Régis escalada prestement l’arbre jusqu’au sommet du tertre. Bruenor, toutefois, qui n’était pas bâti pour de telles acrobaties, peina pour gravir chaque centimètre.

— Aide-le ! cria Drizzt à Wulfgar. (Il était adossé à l’arbre et ses cimeterres étaient prêts à entrer en action.) Grimpe ! Je les retiens.

La respiration de Wulfgar était saccadée et du sang perlait d’une estafilade à son front. Il agrippa le tronc et suivit le nain dans son ascension. Leurs poids tiraient sur les racines et ils avaient à peine gagné un centimètre qu’ils semblaient en reperdre un. Enfin, Régis put saisir la main de Bruenor et l’aider à se hisser au sommet, et Wulfgar, n’ayant plus personne devant lui, les rejoignit bien vite. Leur propre sécurité immédiate assurée, ils regardèrent en bas, inquiets pour leur ami.

Drizzt bataillait avec trois des monstres. Mais d’autres ne cessaient d’affluer derrière lui. Wulfgar envisagea de sauter de son perchoir, à mi-chemin de la cime de l’arbre, et de mourir aux côtés de son ami, mais Drizzt, qui jetait des regards par-dessus son épaule à intervalles réguliers afin de voir où en étaient ses compagnons, remarqua l’hésitation du barbare et comprit ce qu’il voulait faire.

— Monte ! hurla-t-il. Tes atermoiements ne servent à rien !

Wulfgar dut marquer un temps d’arrêt pour considérer celui qui lui donnait cet ordre. La confiance et le respect qu’il avait pour Drizzt l’emportèrent sur son envie instinctive de se replonger dans la bataille et il se hissa à contrecœur afin de rejoindre Régis et Bruenor sur la petite plate-forme.

Des trolls se placèrent des deux côtés du drow. Ils tentèrent de le saisir avec leurs griffes immondes en l’assaillant de tous côtés. Il entendit ses amis qui le suppliaient tous les trois de cesser le combat et de les rejoindre. Mais il savait que les monstres s’étaient déjà glissés derrière lui, l’empêchant de battre en retraite.

Son sourire s’élargit et la flamme de son regard s’embrasa.

Et il se jeta à corps perdu sur le principal groupe de trolls, s’éloignant du tertre inaccessible et de ses amis horrifiés.

Les trois compagnons n’eurent guère le temps, toutefois, de s’inquiéter du sort du drow, car ils se trouvèrent assaillis de tous les côtés. Les trolls s’acharnaient et griffaient l’arbre en essayant de les atteindre.

Chaque ami se planta résolument sur ses pieds pour défendre son côté. Heureusement, l’escalade de l’autre versant du tertre s’avéra encore plus ardue, il y avait même des dévers par endroits, et les trolls n’étaient donc pas en mesure de les atteindre par-derrière.

Wulfgar était le plus meurtrier, chaque coup de son formidable marteau faisant tomber un troll du tertre. Mais il n’avait pas le temps de reprendre son souffle qu’un autre prenait déjà la place de celui qu’il venait d’abattre.

Régis n’était pas aussi efficace avec sa petite masse. Il frappait de toutes ses forces sur les doigts, les coudes et même les têtes des trolls qui se rapprochaient, mais il n’arrivait pas à déloger les monstres qui se cramponnaient à leur perchoir. Invariablement, chaque fois que l’un d’eux franchissait la crête, Wulfgar ou Bruenor devait se détourner de leur propre combat et faire reculer la créature.

Ils savaient que, s’ils rataient leur cible une seule fois, un troll parviendrait immédiatement au sommet du tertre.

Le désastre se produisit quelques minutes plus tard. Bruenor tourna sur lui-même pour venir en aide à Régis alors qu’un monstre se hissait au sommet. La moitié de son corps émergeait déjà. La hache du nain trancha net.

Trop net. Tranchant le cou du troll, elle continua sa course, décapitant le monstre. Mais si la tête s’envola, le corps continua à monter. Régis tomba en arrière, trop horrifié pour réagir.

— Wulfgar ! s’écria Bruenor.

Le barbare fit volte-face, mais il n’eut pas le temps d’observer l’adversaire sans tête. Il porta un coup violent dans la poitrine de la chose avec Crocs de l’égide, l’envoyant valser au loin.

Deux autres mains saisirent le bord de la plate-forme. Du côté de Wulfgar, un autre troll avait rampé et plus de la moitié de son corps était déjà sur le tertre ; et derrière eux, à l’endroit où s’était tenu Bruenor, un troisième était parvenu au but et se tenait à califourchon sur le halfelin impuissant.

Les compagnons ne savaient plus où donner de la tête. Le tertre était perdu. Wulfgar envisagea même de sauter dans l’amas de trolls qui grossissait de minute en minute afin de mourir comme un guerrier, un vrai, après avoir tué autant d’ennemis que possible, et pour ne pas avoir à assister au spectacle du massacre de ses deux amis.

Mais soudain, le troll qui chevauchait le halfelin vacilla, comme si quelque chose le tirait par-derrière. L’une de ses jambes se déroba sous lui, puis il tomba en arrière et disparut dans la nuit.

Drizzt Do’Urden retira sa lame du mollet de la créature alors qu’elle passait au-dessus de lui, puis roula jusqu’au sommet du tertre avec son agilité habituelle. Il se remit debout juste à côté du halfelin qui n’en croyait pas ses yeux. Sa cape était en lambeaux et des traînées de sang maculaient ses vêtements.

Mais il souriait toujours, et le feu qui embrasait ses yeux de lavande disait à ses amis qu’il était loin d’avoir fini. Il passa en courant devant le nain et le barbare qui le contemplaient bouche bée, et il tailla en pièces le troll suivant ; puis il le balança prestement hors de la plate-forme.

— Comment ? demanda Bruenor, abasourdi.

Il savait, tandis qu’il se précipitait vers Régis, qu’il n’obtiendrait aucune réponse du drow. Celui-ci était bien trop concentré.

La stratégie audacieuse que Drizzt avait adoptée au pied du tertre lui avait fait gagner un avantage sur ses ennemis. Les trolls faisaient deux fois sa taille et ceux qui se trouvaient derrière ceux qu’il avait combattus ne pensaient pas qu’il était toujours debout. Il savait qu’il n’avait pas infligé des blessures bien graves aux monstres – les blessures infligées par les coups qu’il portait en passant guériraient vite et les membres qu’il tranchait repousseraient -, mais la manœuvre hardie lui avait donné le temps nécessaire pour décimer la horde de monstres qui l’assaillait et se plonger dans l’obscurité en les contournant. Une fois libre de ses mouvements au plus profond de la nuit, il avait choisi son chemin pour regagner le tertre, se frayant un passage à travers les trolls qui ne se méfiaient pas, animé de la même rage explosive. C’est à son extraordinaire agilité qu’il dut son salut lorsqu’il parvint au pied du tertre, car c’est pratiquement en courant qu’il escalada son versant, passant même sur le dos d’un troll en train de grimper, et trop vite pour que les monstres stupéfaits aient le temps de l’attraper.

La défense du tertre s’organisait désormais. Face à la redoutable hache de Bruenor, au marteau écrasant de Wulfgar et aux cimeterres tournoyants de Drizzt, devant chacun des versants, les trolls qui grimpaient ne pouvaient plus parvenir si facilement au sommet. Quant à Régis, il resta planté au centre de la petite plate-forme, courant aider l’un ou l’autre de ses amis chaque fois qu’un troll passait la tête.

Mais les trolls continuaient à arriver ; la horde grossissait à chaque minute. Les amis voyaient clairement l’inéluctable conclusion de cette lutte. Leur seule chance de salut était de pratiquer une brèche dans le rassemblement de monstres massés sous eux et de se frayer un chemin, mais ils étaient trop occupés à simplement repousser leurs adversaires les plus proches pour réfléchir à une solution.

Sauf Régis.

Cela se fit presque par coïncidence. Un bras tranché par l’une des lames de Drizzt rampa au centre de leurs défenses en se tordant de convulsions. Régis, saisi d’une révulsion absolue, frappa sauvagement la chose avec sa masse.

— Ça ne meurt pas ! hurla-t-il tandis que la chose continuait à se tortiller et à essayer de saisir la petite arme. Ça ne meurt pas ! Qu’on le frappe ! Qu’on le découpe ! Qu’on le brûle !

Les trois autres étaient trop affairés pour réagir aux supplications désespérées du halfelin, mais la dernière exclamation de Régis, lancée avec un désarroi total, lui donna une idée. Il sauta sur le membre frétillant, le clouant au sol pendant qu’il fourrageait dans sa sacoche à la recherche de son briquet et de sa pierre à briquet.

Ses mains tremblantes pouvaient à peine frapper la pierre, mais la minuscule étincelle qui jaillit accomplit son travail meurtrier. Le bras du troll prit feu et grésilla, se transformant en une boule crépitante. Déterminé à ne pas laisser passer l’occasion qui se présentait à lui, Régis ramassa le membre en feu et courut vers Bruenor. Il retint la hache du nain, en lui disant de laisser son adversaire grimper sur la plate-forme.

Une fois que le troll se fut hissé et redressé, Régis mit le feu à son visage. La tête explosa pratiquement en une boule de feu, et en poussant des cris d’agonie, le troll tomba du tertre. Le feu meurtrier se propagea vers ses propres compagnons.

Les trolls ne craignaient ni la lame, ni le marteau. Les blessures infligées par de telles armes guérissaient vite, et même une tête décapitée repoussait sans tarder. De telles batailles contribuaient en fait à propager l’immonde espèce, car le bras tranché d’un troll repoussait, et d’un bras tranché naissait un nouveau troll ! Plus d’un chat ou d’un loup avait dévoré la carcasse d’un troll pour mourir dans d’atroces souffrances lorsqu’un nouveau monstre s’était mis à pousser dans ses entrailles.

Mais il y avait une chose dont les trolls avaient peur : le feu était leur ennemi juré. Et les trolls des landes Éternelles ne le connaissaient que trop bien. Les parties du corps détruites ou abîmées par des brûlures ne pouvaient pas se régénérer et un troll tué par les flammes ne revenait plus jamais à la vie. Un peu comme si les dieux l’avaient souhaité en les créant. La peau sèche d’un troll brûlait aussi bien que du petit bois sec.

Les monstres qui se trouvaient sur le versant du côté de Bruenor s’enfuirent ou s’effondrèrent, ne formant plus que des masses carbonisées. Bruenor donna une tape amicale sur le dos du halfelin en observant le réjouissant spectacle. Une lueur d’espoir revint dans ses yeux las.

— Du bois, dit Régis avec bon sens. Il nous faut du bois.

Bruenor fit glisser son paquetage de son dos.

— On va t’le donner, ton bois, Ventre-à-Pattes, dit-il en riant, montrant du doigt le jeune arbre qui poussait tout le long du versant du tertre devant lui. Et j’ai de l’huile dans ma sacoche ! (Il courut vers Wulfgar.) L’arbre, garçon ! Aide le halfelin ! s’écria-t-il en se plantant devant le barbare.

Dès que Wulfgar se retourna et vit Régis occupé à déboucher une flasque remplie d’huile, il comprit le rôle qu’il avait à jouer. Aucun troll n’était pour l’instant revenu de ce côté du tertre et la puanteur de la chair brûlée venue d’en bas était presque insoutenable. D’un simple geste, le barbare musclé arracha les racines du jeune arbre et le porta près de Régis. Puis il revint vers Bruenor et prit le relais contre les trolls, permettant ainsi au nain d’utiliser sa hache pour débiter le bois.

Des projectiles enflammés illuminèrent bientôt le ciel tout autour du tertre et retombèrent sur la foule des trolls, tandis que des étincelles meurtrières sautaient partout. Régis courut jusqu’au bord du tertre avec une autre flasque d’huile et en aspergea les trolls les plus proches, provoquant une panique générale. La débâcle commençait et, entre la débandade et la rapide propagation des flammes, toute la zone au pied du tertre fut vidée en quelques minutes. Les amis ne décelèrent pas d’autre mouvement pendant le reste de la nuit, déjà bien avancée, si ce n’est les pathétiques contorsions de l’amas de membres, et les mouvements convulsifs des torses brûlés. Fasciné, Drizzt se demanda combien de temps les choses allaient survivre avec leurs blessures cautérisées qui ne guériraient jamais.

Même s’ils étaient épuisés, aucun des compagnons ne ferma l’œil de la nuit. À l’aube, sans le moindre signe de troll aux alentours et bien qu’une fumée immonde flotte encore lourdement dans l’air, Drizzt insista pour qu’ils s’en aillent.

Ils quittèrent leur bastion et reprirent la route, car ils n’avaient pas d’autre choix et parce qu’ils refusaient de renoncer là où d’autres auraient peut-être baissé les bras. Ils ne firent pas de mauvaises rencontres tout de suite. Mais ils pouvaient encore sentir le poids des regards. Et un silence de mauvais augure régnait sur les landes.

Un peu plus tard dans la matinée, tandis qu’ils avançaient d’un pas pesant sur la tourbe moussue, Wulfgar s’arrêta brutalement et projeta Crocs de l’égide sur petit bosquet d’arbres noircis. Le géant des marais, car telle était en fait la cible du barbare, croisa les bras devant le projectile pour se défendre, mais le marteau de guerre magique frappa avec suffisamment de force pour fendre le monstre en son milieu. Ses compagnons terrifiés, presque une dizaine, quittèrent leurs positions et disparurent dans les landes.

— Comment pouvais-tu savoir qu’ils étaient là ? demanda Régis, car il était persuadé que le jeune barbare avait à peine jeté un coup d’œil au bosquet.

Wulfgar secoua la tête, ne sachant vraiment pas ce qui l’avait poussé à intervenir ainsi. Drizzt et Bruenor comprirent très bien. Désormais ils réagissaient tous à l’instinct. Ils étaient trop épuisés pour avoir des pensées cohérentes et rationnelles. Les réflexes de Wulfgar restaient toujours aussi vifs. Il avait peut-être vu du coin de l’œil un imperceptible mouvement, si fugace que sa conscience ne l’avait même pas enregistré. Mais son instinct de survie était entré en action. Le nain et le drow échangèrent un regard pour confirmer ce qu’ils constataient. Ils furent assez peu surpris cette fois de la maturité dont le jeune barbare continuait à faire preuve en tant que guerrier.

La chaleur devint insupportable au cours de la journée, rendant leur marche encore plus pénible. Ils ne voulaient plus qu’une chose : se laisser tomber à terre et succomber à leur immense fatigue.

Mais Drizzt les faisait aller de l’avant, à la recherche d’un autre endroit d’où ils pourraient assurer leur défense. Il doutait toutefois de pouvoir en trouver un aussi providentiel que le précédent. Mais il leur restait suffisamment d’huile pour tenir encore une autre nuit, à condition de maintenir une petite ligne de défense assez longtemps pour exploiter au mieux les flammes. N’importe quel monticule, un bosquet même, ferait l’affaire.

Ils trouvèrent à la place un autre marécage qui s’étirait à perte de vue, dans toutes les directions, sur des kilomètres peut-être.

— Nous pourrions aller vers le nord, suggéra Drizzt à Bruenor. Nous sommes peut-être suffisamment à l’est désormais pour laisser les landes derrière nous, hors de la juridiction de Nesme.

— La nuit nous surprendra le long de la rive, fit remarquer Bruenor d’un air lugubre.

— Nous pourrions traverser, suggéra Wulfgar.

— Est-ce que les trolls vont dans l’eau ? demanda Bruenor à Drizzt, intrigué par les possibilités qui s’offraient à eux. (Le drow haussa les épaules.) Ça vaut l’coup d’essayer alors ! annonça Bruenor.

— Rassemblons quelques rondins, annonça Drizzt. Ne prenez pas la peine de les lier ensemble… Nous pouvons le faire une fois dans l’eau, s’il le faut.

Se servant des rondins comme flotteurs en les disposant tout autour d’eux, ils entrèrent dans les eaux froides et calmes de l’immense marécage.

S’ils n’étaient pas ravis par la sensation de succion causée par la boue qui les tirait à chaque pas, Drizzt et Wulfgar découvrirent qu’il y avait beaucoup d’endroits où ils pouvaient marcher, tout en poussant leur radeau de fortune. Régis et Bruenor, trop petits pour pouvoir aller dans l’eau, étaient étendus sur les rondins. Au bout d’un moment, le silence sépulcral du marécage ne leur pesa plus autant et ils accueillirent cette route uligineuse comme une trêve.

Le retour à la réalité fut pour le moins brutal.

Ils se retrouvèrent dans une embuscade : l’eau tout autour d’eux explosa soudain et trois formes à l’allure de trolls les frappèrent. Régis, qui était presque endormi sur son rondin, en fut délogé et tomba à l’eau. Wulfgar reçut un coup en pleine poitrine avant de pouvoir préparer Crocs de l’égide. Mais il n’était pas un halfelin et, malgré sa force considérable, le monstre fut incapable de le déséquilibrer. Quant à celui qui surgit devant le drow, toujours sur le qui-vive, il fut pris entre deux cimeterres qui lui tailladèrent la face avant qu’il ait pu sortir complètement la tête de l’eau.

La bataille qui s’ensuivit fut aussi rapide et féroce que son abrupt commencement. Rendus fous de rage par l’hostilité ambiante et les agressions incessantes, les amis réagirent à l’assaut par une contre-attaque d’une fureur sans pareil. Le troll qui avait attaqué le drow fut tailladé avant de pouvoir se mettre debout, et Bruenor eut assez de temps pour se préparer et s’en prendre au monstre qui avait fait tomber Régis.

Le troll de Wulfgar, qui avait assené un second coup juste derrière le premier, fut frappé d’une volée de coups d’une sauvagerie à laquelle il ne pouvait pas s’attendre. Cette créature n’était pas douée d’une grande intelligence et ses facultés de raisonnement limitées, ajoutées à son expérience habituelle des batailles, l’avaient porté à croire que son adversaire ne serait pas en mesure de résister et encore moins de riposter après avoir reçu deux coups violents.

Mais cette prise de conscience ne lui fut pas d’un grand secours : Crocs de l’égide le roua de coups, le contraignant à replonger sous la surface de l’eau.

Régis remonta brusquement et s’agrippa à un des rondins. Son visage portait la marque d’un coup et une estafilade qui semblait douloureuse sur tout un côté.

— Qu’est-ce que c’était ? demanda Wulfgar au drow.

— Des espèces de trolls, expliqua Drizzt, tout en continuant à enfoncer ses lames dans la forme inerte étendue sous l’eau juste devant lui.

Wulfgar et Bruenor comprirent la raison de son acharnement. Saisis de peur, ils se mirent à frapper et frapper encore les formes étendues à côté d’eux, espérant mutiler suffisamment les cadavres de façon à se trouver à des kilomètres avant que les choses reviennent à la vie.

 

***

 

Sous la surface du marécage, dans la solitude et la tranquillité des eaux noires, la multitude de coups de hache et de marteau troublèrent le sommeil d’autres habitants. Un en particulier, qui dormait depuis dix ans et même plus. Il n’était pas dérangé par les dangers potentiels qui rôdaient aux alentours. Il se savait en sécurité, fort de sa suprématie.

 

***

 

Étourdi et épuisé par le coup qu’il avait reçu, comme si l’embuscade avait annihilé sa volonté, Régis gisait effondré sur le rondin, vidé de ses forces, et se demandait s’il avait encore le courage de se battre. Il ne remarqua pas que son embarcation partait légèrement à la dérive, poussée par la brise chaude qui soufflait sur les landes. Il s’accrocha aux racines exposées d’une petite rangée d’arbres et vogua dans les eaux recouvertes de nénuphars d’un petit lac tranquille.

Régis s’étira paresseusement, ne se rendant qu’à moitié compte du changement de décor. Il entendait encore vaguement la conversation de ses amis à l’arrière-plan.

Maudissant son insouciance, il luttait toutefois contre l’emprise tenace de la léthargie qui l’envahissait, lorsque l’eau se mit à bouillonner devant lui. Une forme violacée, à l’aspect parcheminé, fendit la surface, puis il vit l’énorme mâchoire circulaire et ses rangées cruelles de dents semblables à des dagues.

Régis, qui était maintenant debout, ne cria pas, ne réagit pas, fasciné par le spectre de sa propre mort surgissant devant ses yeux.

Un ver géant.

 

***

 

— Je pensais que l’eau nous offrirait au moins une certaine protection contre ces choses immondes, grogna Wulfgar en frappant une dernière fois le cadavre du troll submergé à ses côtés.

— C’est quand même plus facile de se déplacer, répliqua Bruenor. Rassemblons les rondins et avançons. Difficile de savoir combien d’autres bestioles surveillent ce coin.

— Je n’ai aucune envie de rester et de compter, répondit Wulfgar. (Il regarda autour de lui, interloqué, et demanda :) Où est Régis ?

C’était la première fois que l’un d’eux remarquait que le halfelin avait dérivé dans le chaos de la bagarre. Bruenor s’apprêtait à lancer un appel, mais Drizzt lui plaqua une main sur la bouche.

— Écoute, dit-il.

Le nain et Wulfgar restèrent immobiles et tendirent l’oreille dans la direction que le drow regardait maintenant avec attention. Après un petit moment, ils entendirent la voix tremblante du halfelin.

— … Vraiment une magnifique pierre, entendirentils, et ils surent immédiatement que Régis se servait du pendentif pour se tirer d’un mauvais pas.

Ils prirent immédiatement conscience de la gravité de la situation, car Drizzt avait réussi à discerner la nature du danger à travers une trouée dans une rangée d’arbres, une trentaine de mètres à l’ouest.

— Un ver ! murmura-t-il à ses compagnons. Plus grand que tout ce que l’on peut imaginer !

Il indiqua un grand arbre à Wulfgar, puis suivit une voie qui permettait de contourner vers le sud l’endroit où se trouvait Régis. Il extirpa la statuette en onyx de son paquetage tout en s’éloignant et en appelant Guenhwyvar. Ils auraient besoin de toute l’aide possible pour affronter ce monstre.

Se baissant dans l’eau pour ne pas se faire remarquer, Wulfgar avança doucement vers la rangée d’arbres et se mit à grimper sur l’un d’eux. Il eut bientôt un très bon point de vue sur la scène. Bruenor le suivit, mais il se glissa entre les arbres, s’enfonçant plus profondément dans le marécage, et prit position de l’autre côté.

— Il y en a plus, aussi, parlementa Régis à voix plus haute, espérant que ses amis l’entendraient et viendraient à sa rescousse.

Il continua à faire tourner le rubis hypnotisant sur sa chaîne. Il ne pensa pas une seconde que le monstre primitif le comprenait. Mais les étincelles lancées par la pierre précieuse semblaient l’étonner suffisamment pour le retenir de gober le halfelin, au moins pour le moment. En vérité, la magie du rubis n’avait que peu d’influence sur la créature. Les vers géants n’étaient pas doués de raison et les charmes n’avaient absolument aucun effet sur eux. Mais l’énorme ver, qui n’avait pas vraiment faim et était fasciné par la danse de la lumière, laissa Régis continuer à user de son charme.

Drizzt se mit en position, un peu plus bas que la rangée d’arbres, son arc à la main, tandis que Guenhwyvar fit un cercle encore plus large, se déplaçant furtivement, afin de se retrouver derrière le monstre. Drizzt pouvait voir Wulfgar, immobile, très haut dans l’arbre situé au-dessus de Régis et prêt à entrer en action. Le drow ne voyait pas Bruenor, mais il savait que l’ingénieux nain trouverait un moyen de se rendre utile.

Le ver finit par se lasser de son jeu avec le halfelin et sa pierre tournoyante. Une soudaine aspiration d’air grésilla de bave acide.

Reconnaissant le danger, Drizzt fut le premier à agir. Il invoqua une sphère de ténèbres autour du rondin sur lequel était juché le halfelin. Régis crut d’abord que l’obscurité soudaine sonnait son glas, mais lorsque l’eau froide l’aspergea, puis l’enveloppa au moment où il tomba mollement du rondin, il comprit.

La sphère troubla le monstre un instant, mais la créature cracha malgré tout un jet de son acide meurtrier. L’atroce substance grésilla en touchant l’eau et mit le feu au rondin.

Wulfgar sauta de son perchoir et s’élança sans peur dans les airs en hurlant : « Tempus ! », tout en serrant le marteau de guerre avec assurance, prêt à frapper.

Le ver se pencha sur le côté pour esquiver le barbare, mais il ne fut pas assez rapide. Crocs de l’égide s’écrasa sur le côté de sa tête, déchira la peau violacée et fracassa le bord extérieur de sa mâchoire, brisant dents et os. Wulfgar avait donné tout ce qu’il pouvait dans ce coup phénoménal mais il était loin d’imaginer l’ampleur des dégâts au moment où il fit un plat dans l’eau froide, plongeant sous la sphère de ténèbres invoquée par le drow.

Enragé par la douleur et plus mal en point qu’il l’avait jamais été, l’immense ver poussa un rugissement qui fendit les arbres sur une bonne distance et précipita les créatures des landes dans leurs abris sur des kilomètres et des kilomètres. Il tordit son corps de quinze mètres de long, se contorsionna, dans des éclaboussements qui n’en finissaient pas, et projeta de puissants jets d’eau dans les airs.

Drizzt tira. Il encocha sa quatrième flèche avant que la première ait même atteint sa cible. Le ver rugit de nouveau, à l’agonie. Il se tourna vers le drow, et cracha un deuxième jet d’acide.

Mais l’agile elfe s’était déjà déplacé au moment où l’acide grésilla dans l’eau à l’endroit où il s’était tenu. Bruenor, pendant ce temps, avait complètement plongé sous l’eau pour s’approcher du monstre à l’aveuglette. Presque écrasé dans la boue par les contorsions frénétiques de la créature, il parvint juste derrière l’un des anneaux du monstre. En largeur, le corps massif de la créature faisait bien deux fois la taille de Bruenor, mais le nain n’hésita pas et donna un coup de hache contre la peau dure.

Guenhwyvar bondit ensuite sur le dos du monstre, parcourut la longueur de son corps, et trouva un perchoir sur sa tête. Les pattes griffues du félin s’enfoncèrent dans les yeux du ver avant qu’il ait même le temps de riposter contre les nouveaux attaquants.

Drizzt décocha flèche après flèche, son carquois était presque vide et une dizaine de fûts emplumés dépassaient de la mâchoire et de la tête du ver. La bête décida alors de se concentrer sur Bruenor, car la hache cruelle du nain lui infligeait les blessures les plus terribles. Mais avant qu’elle puisse écraser le nain en roulant sur lui, Wulfgar surgit de l’obscurité et projeta son marteau de guerre. Crocs de l’égide heurta de nouveau la mâchoire avec un bruit sourd et l’os déjà affaibli se fendit. Des grosses gouttes de sang et des fragments d’os acides crépitèrent dans le marécage et le ver poussa un troisième rugissement d’agonie et de protestation.

Les amis ne fléchirent pas. Les flèches du drow firent mouche, en une salve continue. Les griffes du félin fouillèrent la chair de plus en plus profondément. La hache du nain trancha et tailla, projetant des lambeaux de peau et des morceaux de chair dans l’eau. Et Wulfgar frappa et frappa encore.

Le ver géant chancela. Il n’était pas en mesure de riposter. Dans la vague d’obscurité vertigineuse qui fondait sur lui, il était trop occupé à simplement essayer de conserver son équilibre. Sa mâchoire était brisée et béante et il avait perdu un œil. Les coups implacables du nain et du barbare avaient franchi la barrière de sa peau, et Bruenor beugla d’un plaisir sauvage lorsque sa hache plongea enfin profondément dans la chair exposée.

Un soubresaut brutal du monstre envoya Guenhwyvar dans le marécage et projeta Bruenor et Wulfgar à quelques mètres. Les amis n’essayèrent même pas de reprendre l’assaut, se rendant compte que leur tâche était accomplie. Le ver trembla, s’agita dans des mouvements convulsifs ; ses derniers soubresauts d’agonie.

Puis il bascula dans le marécage, plongeant dans un sommeil qui serait le plus long qu’il ait jamais connu : le sommeil éternel de la mort.

Les Torrents D'Argent
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